C’est durant mon premier séjour dans cette ville que l’idée d’écrire un livre sur les graffitis a commencé à germer dans mon esprit. Cette envie s’est précisée bien plus tard, mais elle était déjà présente dans mon esprit, enfouie bien profondément. Bien plus tard, ce voyage m’est apparu comme un rite initiatique, un passage obligé pour comprendre et apprécier ces écritures cabalistiques transportées par des rames de métro. Ce qui semble évident aujourd’hui ne l’était pas pour moi, il y a encore quelques années…
Gare de Victoria puis le métro en direction d’Ealing Common… Je suis descendu à une station dont j’ai oublié le nom…
J’habitais dans une grande maison victorienne délabrée, ressemblant plus à un squat d’artistes qu’à une demeure bourgeoise. Elle se trouvait dans un quartier où les Noirs étaient majoritaires et cohabitaient avec des Pakistanais. En quelques heures, je me retrouvais dans la périphérie du ghetto, le vrai, celui où le métissage n’avait jamais existé ! Seul Blanc dans le métro le soir, seul Blanc dans le métro le matin…
Une expérience unique et enrichissante pour moi. Jusqu’alors je m’étais imaginé le Royaume-Uni qu’à travers ses séries TV, sa littérature et sa musique. Je partageais une chambre avec une chanteuse qui m’adressa assez peu la parole, trop jeune pour elle et trop conne pour moi. Sa voisine fort avenante travaillait dans la mode, mannequin peut-être, charmante sûrement. Cette présence féminine agréable m’obligea à parler anglais et, malgré la froideur de ma colocataire, j’envisageais mes vacances avec beaucoup plus de joie qu’au début à la suite de cette rencontre.
Hélas, mon rêve éveillé vira au cauchemar soudainement en apprenant que celle qui m’hébergeait avait décidé de partir dans le sud du pays et, surtout, que sa voisine se rendait à Paris pour y passer le réveillon. Que faire maintenant ? Je décidais de parcourir la ville d’Est en Ouest puis du Nord au Sud en prenant le métro, l’unique moyen de locomotion simple à assimiler quand on a grandi à Malakoff. Mon périple dans l’underground londonien se transformait inconsciemment en aventure urbaine comme dans les films de Zemeckis.
Le deuxième jour de vadrouille, je suis tombé sur une, deux puis plusieurs stations « ravagées » de tags : il y en avait partout, de haut en bas, avec des « Throw up » et des « Bloc style »… Sur les voies aériennes, je me suis mis à guetter les graffitis et les fresques colorées où des personnages se retrouvaient imbriqués dans des lettrages tortueux et illisibles pour le néophyte que j’étais. En tentant de comprendre ce que je voyais, mon esprit curieux commençait à entrevoir une signification à ces mots écrits et répétés dans divers endroits. J’arrivais même à déchiffrer cette écriture nouvelle pour moi sans pour autant en comprendre le sens : à qui s’adressait-on et pourquoi de cette manière ?
Chaque soir pour ne pas oublier je notais méticuleusement les endroits où j’avais fait ces heureuses rencontres et je m’appliquais, tel un scribe nubien, à recopier les tags observés quelques heures auparavant. Ces amoncellements de mots m’intriguaient, me dérangeaient parfois, m’obligeant à faire des allers-retours incessants entre deux stations pour comprendre, comprendre et encore comprendre. J’étais seul dans la journée et le soir venu, encore plus seul… Les graffitis devinrent une obsession, je devais trouver un sens à ces écritures, mais avec qui en parler. Mon anglais approximatif n’allait pas me faciliter la tâche.
Je décidais de faire le même trajet à pied pour voir si ces écritures cabalistiques, mystiques, politiques ou artistiques pullulaient également au-dessus dans la ville. Hammersmith, quartier ouvrier et rugueux, j’y découvrais un tag puis un second et, tel le fil d’Ariane que je déroulais, je suivais la trace écrite d’un inconnu qui semblait ne pas l’être dans le monde du dessus. Boxing Day, tout était fermé, les rues étaient désespérément vides et le métro roulait comme un jour férié : peu de rames et presque personne à l’intérieur. Je restais donc dans ce « home sweet home » pour me reposer et préparer une nouvelle expédition plus au nord vers Porto Bello. Soudain, quelqu’un frappa à la porte, l’un des voisins du dernier étage me proposa de faire la fête avec eux. C’étaient des Jamaïcains ressemblant à Bob Marley qui fumaient des cigarettes roulées ayant une odeur étrange. Je refusais poliment car je ne buvais pas d’alcool et ne fumais pas tout simplement. Je replongeais aussitôt dans le plan du métro londonien…
Les jours qui ont suivi, j’ai réussi à découvrir d’autres endroits où des murs étaient graffités, toujours en périphérie jamais dans le centre ville… Quatre années plus tard, je commençais une nouvelle aventure, celle de Paris Tonkar, le premier livre sur le graffiti en France.
Bien après la sortie de mon livre, un jeune graffeur anglais interviewé déclarait que ce livre l’avait influencé… La boucle était enfin bouclée ! Tarek