Vinie graffiti, des couleurs plein la tête

Vinie graffiti, des couleurs plein la tête
Jérôme Deiss / Opus Délits, 2014
Le 46etitre de la collection Opus Délits nous présente le jeune parcours graphique d’une passionnée qui n’a eu de cesse d’apprendre, de progresser et de produire des murs joyeux, travaillés, nouveaux, à la fois dynamiques (abondance erratique de textes et de saturations chromatiques) et apaisants (dégradés monochromes de teintes chaudes et courbes pleines et douces). Le texte se compose d’une rapide présentation par son complice Réa, d’un texte clair de Jérôme Deiss retraçant le trajet de Vinie (Toulouse, Nantes puis Paris) et se termine par des interviews pour mieux cerner la démarche de l’artiste. Les photos proviennent de passionnés amateurs (dont votre serviteur) et sont toutes très belles. Elles illustrent visuellement l’évolution de l’artiste, qui s’incarne dans celle de son personnage de B-girl, véritable avatar de ses idées et interrogations graphiques et qui aboutit (avant son passage au Louvre où elle déborde joliment du cadre) au mélange parfaitement équilibré du perso et du simili-lettrage dans son duo avec Réa : un perso qui cherche à épouser avec harmonie les murs qu’il occupe et les formes de Réa (calligraphie organique-végétale-lumineuse) qui l’enlacent ou le côtoient. Petit livre à consulter rapidement pour prendre connaissance du travail de cette artiste sincère qui cherche et trouve, avant d’attendre avec impatience la suite de cette quête graphique.

Salaam Palestine, carnet de voyage en terre d’humanité

Salaam Palestine, carnet de voyage en terre d’humanité
Massenot, Pillorget et Abel (La Boîte à bulles, 2013)
Le carnet de voyage est un genre à la mode, on en trouve pour tous les goûts mais celui-ci mérite qu’on s’y plonge. A l’origine du projet, l’illustrateur Bruno Pillorget, rejoint par une romancière et un photographe, a imaginé en 2009 un échange artistique entre France et Palestine fondé, pour leur part, sur des expositions en Cisjordanie montrant leur travail. Voici enfin publié le passionnant récit, illustré de dessins et de photographies, de leur séjour, qui fait la part belle aux Palestiniens rencontrés dans les villes où ils ont exposé (Jérusalem, Ramallah, Hébron, Naplouse) ou durant leurs déplacements. Croquis, aquarelles et photos sont superbes, complémentaires dans leur  différence, et rendent les personnages présentés plus attachants encore, tout en illustrant leur environnement proche : maisons, rues, champs, objets de la vie quotidienne, le livre nous en livre mille et un détails… Quelques photos donnent également un petit aperçu du street art qui s’est fort développé dans les Territoires occupés : pochoirs, fresque ou slogans sur le mur de séparation réalisés par des artistes locaux ou internationaux ! Quatre ans on passé depuis ces belles rencontres et la situation est loin de s’être améliorée en Palestine, ce qui rend d’autant plus précieux le témoignage de nos trois artistes français. Nul doute qu’ils réalisent ainsi leur vœu de nous faire partager « le fardeau de cet espoir » des Palestiniens, comme le réclamait avec force le poète Mahmoud Darwich. MLB

Chroniques musiques #3

THE PROCUSSIONS
« The Procussions »
(YOKANTA)
Ce groupe mythique de l’indé américain est de retour avec un nouvel album abouti et un son maitrisé. J. Medeiros et Stro Elliot, les deux artistes, nous proposent un rap s’appuyant sur les fondamentaux qui ont ont permis de gagner l’estime des autres groupes et du public averti. Un hip-hop qui connaît son histoire musicale et ses différentes filiations avec la soul, le funk et le jazz, le tout dans un esprit libéré de toutes contraintes. Les amateurs de rap, mais aussi d’électro, ne pourront qu’apprécier les morceaux qui se suivent et qui, chacun, possèdent une identité forte. Vous n’aurez pas l’impression d’écouter 15 fois la même musique !

NAÂMAN
« Deep Rockers back a yard »
(Soulbeats Records / M’A Publishing)
En écoutant cet album, vous replongerez sûrement dans les souvenirs de l’époque où Shabba Ranks était au sommet sa gloire, où Lord Zeljko faisait vibrer les enceintes de nos chambres avec son émission sur Nova ou dans les Sound system sur les péniches parisiennes, loin du centre, loin de tout ! Naâman est une véritable révélation : il a tout d’un futur grand ! Lui et Fatbabs, son beatmaker de toujours, nous livrent un album d’une force incroyable puisqu’ils ont rencontré leurs aînés et enregistré « Deep Rockers back a yard » à Kingston dans les studios Harry J. Le titre « Rebel of life » sera certainement un des titres marquants de ces prochaines années ! Pas d’hésitation, il faut se le procurer… Et bien sûr l’écouter.

PHASES CACHEES
« Boule à facettes »
(BACO RECORDS)
Un album coup de poing avec des paroles sans concession et des musiques bien ficelées, hardcore parfois, funky de temps en temps. Une ambiance urbaine, limite état de siège, avec des lyrics politisés comme dans « Panique sur la ville »… Il y a un côté Sniper dans certains morceaux, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Le titre « Boule à facettes » est une réussite, un flow enjoué avec des paroles qui enchaînent naturellement. Une réussite !

Chroniques BD #4

Le visiteur du futur, l’élu des Dieux
François Descraques et Gosh (Ankama, 2013)
C’est le très sérieux journal Le Monde qui a prédit « un très bel avenir au Visiteur du Futur ». Quid ? Pour ceux qui se seraient exilés sur une île déserte sans Internet ou autre mode de communication contemporain, le « Visiteur du Futur » est un véritable phénomène viral qui fait du bien à tous ceux qui en ont été infectés. Websérie créée par François Descraques (réalisateur pour la pub et le web mais frustré de projets de séries TV mainstream) et ses nombreux potes avec lesquels il tourne les premiers épisodes au Bois de Vincennes, « le Visiteur du Futur » est diffusé à partir d’avril 2009 sur le blog de son créateur FrenchNerd.com.

Happé au vol par Dailymotion et Youtube, quelques prix et des millions de clics plus tard, il se voit offrir sa première diffusion télévisuelle par la chaîne Nolife, ce qui attire à son tour l’attention d’Ankama qui propose alors au département Nouvelles Écritures de France Télévision de coproduire la série. Celle-ci sera diffusée avec succès sur Studio 4.0, la plateforme transmédia de France 4. Depuis, la websérie affiche fièrement trois saisons, deux prix au Web Festival de la Rochelle et même quatre prix au Los Angeles WebFest ! Ankama, studio transmédia à succès ayant également une branche éditoriale dynamique, notamment en BD (Mutafukaz, Freaks Squeele ou City Hall) offre alors un nouveau médium au très prolifique François Descraques qui, avec son complice Gosh au dessin, scénarise ce premier tome, L’Élu des Dieux, dans un esprit qui ne pourra que ravir ses fans web et en séduire de nouveaux. Miceal

City Hall (tome 3)
Rémi Guérin et Guillaume Lapeyre (Ankama, 2013)
Le duo d’auteurs persiste et signe avec ce tome 3 clôturant, en un temps record de parution mais sans perdre en qualité, la série événement qui s’impose définitivement comme le manga à la française ! Ils réussissent en effet l’exploit rare de finir une trilogie en beauté et referment suffisamment de portes pour ne pas frustrer le lecteur, tout en sachant ménager de nouvelles pistes d’exploration… Vous palpiterez d’émotion aux côtés de vos héros, Jules Verne, Arthur Conan Doyle et la très sexy Amelia Earheart, vous tremblerez de voir un Londres steampunk et futuriste en pleine Exposition Universelle, scruté par le dispositif de surveillance Big Eye, le bien nommé, et vous saurez enfin qui se cache sous le masque de Lord Black Fowl. Et surtout, pour quelle raison il veut semer partout le chaos et la destruction… Malgré tout cela, tout comme les innombrables fans de cette série à surprises, vous en redemanderez ! Ankama l’a bien compris, puisque l’éditeur vient d’annoncer qu’une saison 2 est déjà en chantier. Ouf ! Miceal

Radiant (tome 1)
Tony Valente (Ankama, 2013)
Justice est faite ! Pour tous les lecteurs frustrés à juste titre de leur très dynamique série Hana Attori, dont trois tomes successifs ont été publiés de 2008 à 2010 par les éditions Soleil avant que le titre ne soit prématurément arrêté, voici le retour en force de l’univers manga et magique de Tony Valente chez un autre éditeur. En effet, Ankama, forte de l’important succès critique et commercial de City Hall, a décidé de capitaliser sur le manga à la française de qualité. Tony Valente a déjà démontré l’étendue de son talent en dessinant également Speed Angels, série d’espionnage dans l’esprit de Charlie’s Angels ou de Totally Spies scénarisée par Didier Tarquin, le célèbre dessinateur de Lanfeust de Troy. Aujourd’hui, c’est à ses premières amours fantasy qu’il revient avec un récit dont les éléments étaient déjà présents en arrière-plan de Hana Attori. Dans l’univers imaginé par Valente, les Némésis, de monstrueuses créatures, tombent du ciel régulièrement, provoquant toutes sortes de catastrophes sur leur passage. Bien que seuls capables de résister à la puissance de ces monstres, les « infectés », rares humains à avoir survécu à la rencontre avec les Némésis, et ayant ainsi accédé à la maîtrise de la magie, sont paradoxalement mis au ban de la société. Certains de ces sorciers rejetés par l’ensemble de la population, comme les membres du Bravery Quartet, en deviennent pilleurs opportunistes, tandis que d’autres, telle la sorcière Alma, s’obstinent à lutter contre les envahisseurs géants. Parmi eux, Seth, jeune apprenti d’Alma, se révèle aussi talentueux qu’il est impulsif et maladroit. C’est sa quête du Radiant, mythique lieu d’origine des monstres, que raconte ce shônen à grand spectacle. Pêchu, enlevé, ce manga, à sens de lecture japonais, montre à quel point Tony Valente, aujourd’hui installé au Québec, a su parfaitement digérer ses illustres modèles, de Dragon Ball Z à One Piece, pour nous offrir un premier opus spectaculaire et divertissant qui se lit d’une traite ! Sus aux Némésis ! Miceal

Axis Mundi

Axis Mundi
Mathieu Lauffray (CFSL, 2013)
Parmi les très grands dessinateurs de bande dessinée française du XXe siècle à avoir su, avec talent, vision, éclectisme et finalement avec succès, imprimer leur marque non seulement à son medium d’origine mais à plusieurs medias différents (cinéma, jeu vidéo, jeu de rôle, presse et illustration), l’Histoire retiendra à coup sûr au moins trois noms : Moebius, Mézières… et Mathieu Lauffray. Depuis le Serment de l’Ambre, première BD réalisée en guise de mémoire de fin d’études à The Secret, Lauffray revient sur vingt années de travaux qui ont fait de lui un artiste multimédia incontournable, mondialement connu et respecté. Plus qu’une monographie purement illustrative, comme l’avait été son précédent art book Proto (éditions Soleil, 2004), Axis Mundi, publié cette fois par CFSL, constitue un carnet de route dans lequel il révèle à tous les étudiants, pratiquants ou simples amateurs, les diverses possibilités offertes à l’auteur dessinateur-illustrateur pour trouver des débouchés professionnels, permettant de vivre de son art et de sa passion. Pour unique qu’il soit, le parcours de Lauffray n’en est pas moins exemplaire et son itinéraire chaotique se lit comme un roman, celui de la vie d’un rebelle qui n’a jamais accepté de se faire dicter par quiconque sa conduite artistique ou morale. L’axe du monde, selon certaines cultures, essentiellement chamaniques, était considéré comme le 5e point cardinal, un lien entre la Terre et le Ciel, entre le monde des vivants et celui des esprits, entre la réalité et l’imaginaire, là où intervient l’esprit de tout créateur. Axis Mundi, à la fois beau livre d’art fidèle à l’esprit et à la qualité des célèbres ouvrages Café Salé et bible à l’usage des artistes avides d’explorer de nouvelles avenues, nous entraîne dans sa quête de l’absolu artistique aux côtés de Long John Silver et Jack Stanton, au fil d’un ouvrage que cet aventurier de la plume qu’était Charles Baudelaire aurait pu préfacer de ses célèbres vers: « Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! » (Le Voyage in Les Fleurs du Mal, 1861). Miceal