Salaam Palestine, carnet de voyage en terre d’humanité
Massenot, Pillorget et Abel (La Boîte à bulles, 2013)
Le carnet de voyage est un genre à la mode, on en trouve pour tous les goûts mais celui-ci mérite qu’on s’y plonge. A l’origine du projet, l’illustrateur Bruno Pillorget, rejoint par une romancière et un photographe, a imaginé en 2009 un échange artistique entre France et Palestine fondé, pour leur part, sur des expositions en Cisjordanie montrant leur travail. Voici enfin publié le passionnant récit, illustré de dessins et de photographies, de leur séjour, qui fait la part belle aux Palestiniens rencontrés dans les villes où ils ont exposé (Jérusalem, Ramallah, Hébron, Naplouse) ou durant leurs déplacements. Croquis, aquarelles et photos sont superbes, complémentaires dans leur différence, et rendent les personnages présentés plus attachants encore, tout en illustrant leur environnement proche : maisons, rues, champs, objets de la vie quotidienne, le livre nous en livre mille et un détails… Quelques photos donnent également un petit aperçu du street art qui s’est fort développé dans les Territoires occupés : pochoirs, fresque ou slogans sur le mur de séparation réalisés par des artistes locaux ou internationaux ! Quatre ans on passé depuis ces belles rencontres et la situation est loin de s’être améliorée en Palestine, ce qui rend d’autant plus précieux le témoignage de nos trois artistes français. Nul doute qu’ils réalisent ainsi leur vœu de nous faire partager « le fardeau de cet espoir » des Palestiniens, comme le réclamait avec force le poète Mahmoud Darwich. MLB
Chroniques musique #2
Voicing
12 Mé & Raph / Mosaic Music Distribution / 2011
Le jazz est l’avenir du hip-hop ? Ce dernier a régulièrement emprunté au répertoire du Jazz, souvent des lignes de basse efficaces, parfois des samples choisis, quelquefois la couleur. Mais il y a rarement eu d’union novatrice, surtout en France. 12 Mé & Raph ont décidé de tenter l’expérience. Par amour de ces deux musiques, le MC et le saxophoniste ont réussi avec Voicingune fusion personnelle et efficace. D’une vraie richesse musicale déclinée avec brio par des musiciens brillants, ce troisième album possède une unité qui ne trompe pas : la sincérité. Une musique au groove percutant (les influences Boom Bap de 12 Mé sont bien présentes), aux harmonies colorées, un flot assuré qui trace sa voix entre saxe, clavier, basse, scratch et beat box ; l’osmose est parfaite. Les textes eux aussi ont la belle couleur de la sincérité, ils nous parlent avec simplicité du quotidien banal et parviennent, sans violence, à nous confronter à des questions existentielles. À voir sur leur site la très belle et new-yorkaise vidéo de « Last Sunday » (Vivien Floris / Make 2 Work Productions), premier titre extrait de Voicing et faite vous plaisir avec le graphisme noir et blanc de « Jean-Pierre ». Belle découverte : le hip-hop a un avenir…
Kohndo
Soul Inside / Greenstone reccords / 2011
Je n’ai pas trouvé la soul inside… Cet album possède en apparence toutes les qualités pour se transformer en une réussite commerciale : enfin de la soul classe et française ! Une production professionnelle et sans tache, brillante même, de bons musiciens et des arrangements calibrés, une foule d’amis prestigieux en invités (featuring, un titre sur deux) et Kohndo qui pose son flot clair qu’on adore, ses textes fluides, chantant même bien, sur « Lick me ». Soul Inside se décline sans complexe en plusieurs genres : soul, rock, rap, funk… Et malheureusement, ça ne prend pas complètement. Les morceaux rock manquent de tension réelle, les morceaux soul de profondeur, et au final, ces variations tombent à plat. Après plusieurs écoutes répétées de cette production très brillante, l’impression fatigante d’avoir à faire à un objet trop lisse, sans risque, sans nouveauté. Dommage ! J’aurais vraiment voulu aimer cet album de Kohndo. Essayez de votre côté, peut-être serez-vous capable de trouver la Soul Inside…
Nicole Atkins
Mondo Amore / Razor & Tie / 2011
Nicole Atkins possède la voix du rock. Un grain léger à filer des frissons, une aisance dans la maîtrise de la puissance, des tensions permanentes qui ne cèdent jamais. Sa musique, assurée par son solide groupe « The Black Sea », est un mélange de tout ce que la culture blues et rock U.S. peut contenir, du plus dynamique (l’accueillant « Vutlures », le très bon « You Come to Me ») au plus romantique (« This is For Love », « Hotel Plaster », « Heavy Boots »). Mais aussi une ballade joyeuse (« Cry Cry Cry ») et une autre moins heureuse (le sublime « You Were the Devil »), et même un authentique folk far-west (« My baby don’t lies »). Étant donné le talent brut de la jeune dame, on aurait aimé plus de titres énervés, plus risqués et peut-être moins de romance. Dans ce petit set de dix titres, seul « War is Hell » semble extrêmement dispensable. Le titre qui clôt Mondo Amore, « The Tower », semble au début relativement faible, mais son final lyrique et grandiose fait vite regretter cette pensée. Ce dernier morceau devient même un bel adieu que l’on ne se lasse de ré-écouter. Pour résumer, on aime Nicole Atkins, on adore Mondo Amore (en plus elle a tourné en 2010 avec The Black Keys, le grand pied bien sauvage…).
Chroniques musique #1
Gentleman & the evolution
Diversity live / Bushhouse music / 2011
Un album Live qui tient toutes ses promesses avec du bon reggae, dansant et enivrant, des enchaînements dynamiques. Le timbre de la voix du chanteur est unique, son chant et ses paroles sont justes. Il y a un côté jazzy sur certains morceaux qui n’est pas désagréable à l’écoute. À découvrir !
True Live
Found Lost / Safiko records / 2011
Un groupe australien fort étonnant que je vous invite à découvrir ! Leur album est une réussite et il vaut le détour, ne serait-ce que pour écouter les 3e et 4e morceaux. Du bon groove avec des ambiances jazz sous fond de hip-hop cool… Un album joyeux, chaleureux, qui vous transporte et vous donne de la pêche. Vous l’aimerez aussi !
The Webb sisters
Savages / Proper / 2011
L’intérêt de cet album réside dans les voix des Webb sisters, écorchées, hésitantes, sensuelles et envoûtantes ! Le tout accompagné par des ballades et des mélodies folk/pop, à mi chemin entre les Christians et Kate Bush. Une musique légère, sans prétention, qui se laisse écouter.
Chroniques BD #3
Les Ombres
Hyppolite et Vincent Zabus (Phebus, 2013)
Rares sont les BD qui parlent de l’immigration sur un ton onirique. Et pourtant, celle-ci y arrive avec brio, rendant les émotions sincères et pudiques à la fois, sur la condition d’une famille qui tente le parcours universel des immigrés de tout temps et la recherche d’une meilleure terre. Touchant et déroutant, les textes associés à un graphisme de caractère aux tons aquarelles permettent de rendre avec poésie des émotions difficiles. En laissant de côté le pathos, ce récit critique également les dérives d’une société où l’homme est mécanisé, hypnotisé et exploité mais démonte aussi quelques rouages de ces schémas d’échec avec un humour bien placé. Un ouvrage volumineux de qualité avec couverture dure en papier épais, mais sans tomber dans le luxe inutile : le tout, pour un rapport qualité-prix très modeste (24 euros).
Psycho Investigateur
Benoît Dahan et Erwan Courbier (Editions Physalis, 2013)
Simon Radius est un psycho investigateur : grâce à une méthode hypnotique, il accède à l’inconscient des patients venant le trouver, puis voyage littéralement dans leurs souvenirs et leurs traumatismes. Appelé pour résoudre des enquêtes grâce à ce don particulier, qui permet de retrouver les coupables mémorisés par les victimes, Simon, sorte de sage innocent, n’en est pas moins tourmenté, jalousé et critiqué. Qu’importe, l’honnêteté et la justice lui tiennent à cœur, quitte à prendre des risques dans ce monde matériel et dans celui de l’esprit également. Une drôle de balade inventive, drôle, dynamique et profonde nous est proposée par ces deux auteurs complices. Ce ne sont pas les personnages caractériels qui manquent, ni l’humour, autour d’un récit dont le fil rouge est celui de la recherche affective. Le graphisme est en osmose avec le sujet, proposant des pages éclatées : le personnage de Simon plongeant visuellement dans les souvenirs est une belle trouvaille. Il s’agit là d’une BD rare et de caractère, traitant d’un sujet moderne dont le ton enjoué la rend abordable pour le grand nombre.
Babylone
Zezelj (Mosquito, 2013)
Voici une œuvre originale et de caractère. On peut vraiment parler d’une BD qui peut se lire et se parcourir comme un tableau de peintre, qui se comprend avant tout en contemplant les cases. Zezelj propose une histoire muette, sans bulles, dans un décor de ville gigantesque qui se voue à un projet de construire une tour aux allures de Babel. Cette œuvre baroque est servie par un dessin puissant en noir et blanc, qui peut faire penser au pochoir par son jeu du noir et blanc, et par un découpage cinématographique prononcé, jouant avec les zooms, les masses, les plans serrés ou larges. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le livre pourrait plaire même aux personnes ne lisant pas de BD en général car l’essentiel est d’accepter de se plonger dans les images et de suivre le fil narratif qui propose un voyage parlant autant à l’intuition qu’à l’intellect. L’autre avantage est qu’il est difficile de se lasser : les nouvelles lectures exerçant de nouvelles façons de comprendre l’histoire. Les amateurs d’expériences graphiques et artistiques seront ravis.
Chroniques BD #1
Les aventuriers du dimanche, Jean-Philippe Boudart
(Manolosanctis, 2010)
Une bande dessinée simple et lumineuse qui a fait son petit chemin et s’est développée sur le net grâce à son auteur, sous le pseudonyme Toundra dans un premier temps, et avec le soutien du public de plus en plus nombreux et fidèle à ces aventuriers amateurs. Le plus remarquable, particulièrement en des temps où la morbidité atteint des pics rococo, est que cette histoire sent bon l’amitié, un esprit fraternel entre une communauté de « rôlistes » un peu bras cassés sur les bords. Le fil narratif installe une sorte de rêverie éveillée où l’aventure commence précisément lorsque nos irréductibles se perdent ! On peut donc sans problème investir dans cet album, même sans être un accro du monde fantasy/donjon, d’autant plus que le graphisme de caractère renforce cette ambiance universelle et chaleureuse, allant au-delà du premier degré, de la parodie ou de l’hommage.La galerie de personnages brasse sans complexe le réalisme, la BD naïve ou encore le dessin animé (Barbaroxe est une sorte d’Heidi encapuchonnée sous acide), le tout servi par des couleurs chatoyantes évoquant le printemps et l’automne à la fois. En attendant la suite !
Tom & William, Laurent Lefeuvre
(Le Lombard, 2010)
Voici une BD qui ne passe pas inaperçue dans un monde qui s’évertue à rechercher frénétiquement de nouvelles tendances puisque son auteur regarde résolument vers le passé et les petits formats d’aventures « science-fictionnesques » ou encore horrifiques qui ont bercé la jeunesse de beaucoup d’entre nous. Un cataclysme a fait disparaître la majorité de l’humanité : les rares rescapés doivent faire face à des créatures qui ressemblent à s’y méprendre à celles que l’on trouvait dans les bandes dessinées des années 60. Jusqu’au jour où William, un survivant, rencontre Tom, un jeune garçon à l’imagination débordante, qui a dévoré en une nuit une sacrée pile de vieilles BD. Il est persuadé d’avoir déclenché l’existence des monstres hors du papier car cette apocalypse a commencé au même moment que sa lecture passionnée, rien de moins. Tom semble le prouver, puisqu’à sa demande, un héros de son choix apparaît pour les aider à se protéger des dangers qui peuplent désormais ce monde fantomatique. À l’instar du film L’antre de la folie de John Carpenter, Laurent Lefeuvre nous propose une mise en abîme riche en paradoxes, puisque Tom incarne à lui tout seul l’enfant qui rêve d’avoir à côté de lui ses héros « pour de vrai » avec pour conséquence des gens qui voient leur quotidien chamboulé par des personnages de fiction ayant un rapport étroit avec la réalité… L’ouvrage se révèle donc passionnant et sonne comme un hommage définitif au genre, le traitement graphique embrasse avec nostalgie le style réaliste et dynamique de l’époque. L’auteur a prolongé le plaisir en créant le site fictif des éditions ROA qui vous informe à rebours de l’histoire de ces supers héros qui n’ont jamais existé : http://roa.over-blog.com/